Nouvelle carte d'identité : émotions administratives

Lettre ouverte à Violaine Des Courières

Couverture du magazine "Marianne" daté du 16 au 22 octobre 2020


Il y a quelques semaines, j’ai été contactée par une « journaliste » qui souhaitait écrire un papier sur les enfants transgenres. C’est la première fois que j’étais contactée par une « journaliste ».

La première chose que je me suis dit, c’est que j’ai créé mon blog pour ces raisons. Parler de la transidentité, de notre parcours de parents, expliquer, faire comprendre et accepter les enfants transgenres afin que leurs parcours et leurs vies soient plus faciles dans le futur.

J’ai donc accepté de réaliser cette interview avec Violaine Des Courières. Je lui ai alors confié ma crainte et lui ai rappelé mon objectif premier : parler de la transidentité avec bienveillance au travers de mon amour pour ma fille Rose. Cette dernière m’a alors confirmé vouloir écrire un papier « en toute objectivité » concernant les enfants transgenres.

A la fin de l’interview, j’ai suggéré à Madame Des Courières d’interviewer également des adultes qui ont fait leur transition sur le tard, afin d’avoir une vue d’ensemble et une compréhension plus complète de la transidentité. Cette dernière m’a alors dit « vouloir se concentrer uniquement sur les jeunes enfants ».

A l’issue de cette interview, ma première interview, j’ai ressenti une gêne, un vrai malaise. J’ai bien senti que malgré mes longues phrases pleines d’amour pour Rose et de compassion pour les personnes transgenres et leurs difficultés actuelles (médicales, administratives, etc.), les questions de Madame Des Courières semblaient « orientées ».

« Qu’est-ce que j’ai fait là ? » ai-je partagé avec Papa Zazou juste après cette interview.

« As-tu demandé pour quel journal elle travaille ? » m’a-t-il demandé ?

Non, je n’y ai même pas pensé ! Erreur de débutante...

 

Hier, 16 octobre 2020, Violaine Des Courières m’a indiqué que son article avait été publié dans le Marianne daté du 16 au 22 octobre. Lors de notre échange, j’avais compris qu’elle nous ferait relire son article avant publication… mais non ! L’article est déjà imprimé, en kiosk et sur internet mais Madame Des Courières a au moins la décence de partager avec nous le PDF de son article. Et oui, n’étant pas abonnée à Marianne.net, je ne peux pas lire l’article entièrement sur internet. Et c’est tant mieux, grâce à cet accès limité aux seuls abonnés, peut-être que peu de personnes liront ce torchon…   

 


Très chère Violaine Des Courières,


Je tiens ici à vous adresser cette « bafouille »…

 

Je vous remercie d’avoir partagé avec moi et mon mari votre article intitulé « Ces enfants qui changent de sexe » pour lequel vous m’avez interviewée au sujet de ma fille Rose. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un simple article, mais bien d’un « dossier », c’est comme cela que celui-ci est présenté dans le dernier Marianne daté du 16 au 22 octobre 2020. Je suis ravie, enfin un dossier sur les enfants transgenres, nous allons faire avancer les choses, j’en suis certaine ! Réalisant qu’il s’agit du « dossier » de Marianne, je m’attends donc à un vrai travail journalistique d’investigation, qui va permettre au plus grand nombre de comprendre la transidentité et les enfants transgenres. Quelle chance !

 

Malheureusement, dès les premières lignes, mon diagnostic est posé : non, ce ne sera a priori pas un article (encore moins un « dossier » !) digne du journalisme, ou digne des grands intellectuels qui se posent des questions et cherchent à comprendre un sujet en particulier grâce à des recherches approfondies. Non… Dès la 7ème phrase de votre article vous nous démontrez la méconnaissance de votre sujet en indiquant une définition erronée de la « dysphorie de genre » :

« Le médecin pose d’abord le diagnostic de dysphorie de genre – différence entre le sexe assigné à la naissance et celui auquel l’enfant s’identifie. » (extrait de l’article « Ces enfants qui changent de sexe » de V. Des Courières / Marianne / 16 au 22 octobre 2020).

Et bien non, Madame Des Courières, ceci n’est pas la bonne définition de la « dysphorie de genre ». Rien que sur ce point, extrêmement simple pourtant, vous n’avez pas poussé très loin votre recherche ! Il est cependant primordial de retenir que la « dysphorie de genre » est bien caractérisée par une identification forte et permanente à l'autre genre que le genre attribué à la naissance, mais surtout (ce « surtout » primordial que vous avez oublié de préciser…) que cette identification est associée à une anxiété, à une dépression ou à une irritabilité. Bref, un vrai mal-être chez l’enfant qu’à aucun moment vous ne décrivez dans votre article, comme une volonté d’occulter cette partie-là de mes explications ?

Il est d’ailleurs tout aussi primordial de rappeler que toutes les personnes transgenres ne ressentent pas de dysphorie de genre, mais là encore, il ne vous a pas semblé utile de creuser le sujet… De plus, vous faites cet amalgame honteux entre « dysphorie de genre » et « transidentité » tout au long de votre article ! Comme si le terme « dysphorie de genre » était un synonyme de « transidentité »… Quel beau travail journalistique !

 

Vous parlez ensuite de « métamorphose », comme si les médecins et les parents, comme nous, prenaient les choses totalement à la légère. Comme s’il suffisait qu’un garçon veuille simplement s’habiller en rose pour que tout le monde prenne unilatéralement la décision de le « métamorphoser » en petite fille ! Comme si ces décisions étaient prises en une seule semaine sans analyser plus la situation ou les conséquences d’une telle décision.

« Dans sa consultation à Robert-Debré, le premier rendez-vous (…) dure une heure trente. En quelques minutes, il suffit que le mineur formule avec aplomb la demande de changer de sexe pour que le diagnostic de la dysphorie de genre soit posé (…). Une métamorphose réalisée en un temps record. » (extrait de l’article « Ces enfants qui changent de sexe » de V. Des Courières / Marianne / 16 au 22 octobre 2020).

Vous choisissez ici d’occulter une nouvelle fois mes explications quant au cas de Rose. Ces explications où je vous faisais justement remarquer que Rose avait démontré des signes de sa dysphorie de genre très tôt, dès l’âge de 3 ans. Que cela faisait donc 3 ans que nous nous posions des questions, que nous avions des signes avant-coureurs et que nous avons pu prendre tout le temps d’écouter et de comprendre le mal-être de notre enfant.

 

Vous choisissez d’aller encore un peu plus loin (et oui, il aurait été dommage de s’arrêter en si bon chemin !) afin d’étayer un petit peu plus votre propos selon lequel ces parents d’enfants transgenres sont des parents insouciants qui n’ont, à vos yeux, que faire du bien-être de leurs enfants. Vous sous-entendez ainsi qu’en ce début d’année scolaire 2020, il est de bon ton d’avoir un enfant transgenre. A vous lire, nous avons même certainement convaincus notre enfant de devenir « Rose » afin de pouvoir s’en vanter sur les réseaux sociaux et en société. Rien de plus tendance en effet !

« En cette rentrée scolaire 2020, la dysphorie de genre s’inscrit dans un contexte très médiatique. Sur les réseaux sociaux, les stars américaines sont également nombreuses à révéler la « transidentité » de leurs têtes blondes. (…) À les entendre, avoir un enfant transgenre, ce serait le summum de la tolérance, un modèle idéal de parentalité. » (extrait de l’article « Ces enfants qui changent de sexe » de V. Des Courières / Marianne / 16 au 22 octobre 2020).

Très chère Madame Des Courières, avez-vous au moins écouté les témoignages des parents que vous avez interviewés ? Avez-vous entendu leur détresse ? Leurs angoisses ? Leurs doutes ? Avez-vous compris le mal-être de nos enfants ? Savez-vous quelle vie et quelles difficultés attendent nos enfants et nous même tout au long de ce parcours ? Aussi, croyez-vous sincèrement que nous infligerions à nos enfants et à nous-même cela, juste pour le plaisir d’être « à la mode » ?

 

Et enfin, vous partez à la dérive Madame Des Courières. Grâce à vous et à votre « article », nous rajeunissons ! Mais je ne suis pas certaine d’avoir envie de vous en remercier… En effet, grâce à vos propos nous revenons quelques 20 ans en arrière (voir plus !), lorsque les personnes transgenres étaient encore appelées des transsexuels/transsexuelles, lorsque l’on liait encore la sexualité avec la question de genre, lorsque l’homosexualité ou la transsexualité étaient encore considérées comme des maladies mentales.

« L’identité sexuelle est une construction lente et quotidienne. Cette dernière fluctue sous l’effet des pressions du milieu », précise à Marianne le neuropsychiatre Boris Cyrulnik. Un enfant ne peut pas faire la différence entre l’attirance affective et sexuelle. Sa première identité de genre se définit entre 3 et 4 ans. (…) C’est cette sexualisation du regard posé sur lui qui est gravissime. » (extrait de l’article « Ces enfants qui changent de sexe » de V. Des Courières / Marianne / 16 au 22 octobre 2020).

Mais savez-vous, Madame Des Courières, que l’identité de genre n’a rien à voir avec le sexe ou la sexualité des personnes transgenres ? Le « Défenseur des droits » explique justement que les termes de « transsexualisme », de « transsexuel/elle » ou encore d’« identité sexuelle » ne sont plus employés depuis des années car « la transidentité est une expérience indépendante de la morphologie et donc du sexe des personnes. ».

Savez-vous donc, Madame Des Courières, que l’identité de genre n’est donc en aucun cas liée à la sexualité ? Que les deux n’ont justement rien à voir ? Savez-vous qu’une majorité des personnes transgenres ne pratiquent pas de chirurgie de réassignation sexuelle ? Ou encore que toutes les personnes transgenres ne prennent pas d’hormones car ne ressentent pas de dysphorie de genre ?

Vous le sauriez certainement si vous aviez approfondi un peu votre sujet plutôt que de déverser sans aucune retenue ni honte votre opinion totalement personnelle dans cet « article », ce « dossier ».

 

J’ai tenu à garder le meilleur pour la fin Madame Des Courières. Je ne voulais pas que nous nous quittions sans mentionner votre parallèle entre nous, parents d’enfants transgenres, ou encore le corps médical - qui permet aujourd’hui à nos enfants de se sentir mieux dans leurs corps et dans leurs têtes - et les violeurs, les incestes ou encore, la pédophilie. Au summum de votre art je vous cite :

« Souvenons-nous. Dans les années 1970, des écrivains faisaient la promotion de la pédophilie dans Libération pour justifier les relations sexuelles entre majeurs et mineurs. (…) Aujourd’hui, ces relations-là sont qualifiées de viols. Après avoir vécu une « transition sociale » dès 3 ans et avoir pris des bloqueurs d’hormones à 10 ans et demi, certains de ces enfants – devenus adultes – viendront-ils qualifier en « viol d’identité » ces changements de genre réalisés trop tôt ? » (extrait de l’article « Ces enfants qui changent de sexe » de V. Des Courières / Marianne / 16 au 22 octobre 2020).

« la dysphorie de genre peut être provoquée par un traumatisme passé. Pour le Dr Catherine Bonnet, pédopsychiatre, connue pour son engagement en faveur des enfants victimes, l’enjeu est d’« évaluer si cette demande ne serait pas un signe d’alerte de violences sexuelles ». (extrait de l’article « Ces enfants qui changent de sexe » de V. Des Courières / Marianne / 16 au 22 octobre 2020).

 


Je réalise, Madame Des Courières, que j’ai usé beaucoup trop de salive à tenter de vous expliquer notre situation de parents d’une jeune enfant transgenre et les injustices actuelles que notre enfant s’apprête à subir ou subit déjà.

J’aurais dû réaliser, dès la première question « orientée » que vous m’avez posée, que vous n’étiez pas une personne bienveillante et que votre but n’était pas de faire avancer la cause transgenre mais bel et bien de la voir revenir en arrière.

 

Rien ne nous a été épargné dans votre article Madame Des Courières, j’en reste sans voix. Même le mégenrage de ma fille (« Cinq mois après avoir demandé à devenir une fille, il fait sa rentrée en CP sous le prénom de Rose. » (extrait de l’article « Ces enfants qui changent de sexe » de V. Des Courières / Marianne / 16 au 22 octobre 2020)) et le fait que vous osiez livrer dans votre « article » son « deadname » alors que je vous avais explicitement demandé de ne pas le faire. Vous avez entièrement sorti du contexte l’intégralité de mes propos et les avez pervertis afin de servir vos propres idées.

 

Madame, votre « article » n’est en aucun cas digne d’un travail de « journaliste ». Ce n’est que le travail d’une personne avec une opinion malveillante et certainement transphobe. Je suis sincèrement étonnée qu’un magazine comme Marianne autorise la publication d’un tel récit alors que je constate un grand nombre d’erreurs et de raccourcis.

 

Je me sens en colère, triste, bafouée, "violée" même, pour reprendre vos propos Madame Des Courières.

 

Enfin, votre article est la preuve qu’il nous reste en France encore beaucoup de chemin à parcourir sur ces questions du genre. Sachez d’ailleurs, comme vous semblez en douter, que de nombreuses études existent sur ce sujet dans d’autres pays moins en retard sur ces sujets que le nôtre.

Je vous remercie pour cette colère qui bout en moi et qui me donne l’énergie de continuer et de me battre car,  malheureusement,  Rose rencontrera sur son chemin des gens comme vous. Je réalise grâce à vous à quel point il nous reste à nous, parents, transgenres, associations, etc., beaucoup de travail pour expliquer, faire connaître et comprendre la transidentité.



Bien à vous.

Zazou et Zazounette



Commentaires

  1. Woaw... Je viens de lire, je ne suis pas étonné du contenu si classique de la part de Marianne, mais je suis profondément désolé pour vous d'avoir du subir cette interview puis ensuite la déformation de vos propos et la déshumanisation de votre parentalité. Merci à vous de prendre soin et d'entendre Rose. C'est ce qui compte. ça, la relation chouette que vous avez, ses explorations, découvertes, ses joies de pouvoir être qui elle veut soutenue par vous.

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  2. c'est super chaud quand même qu'une journaliste ai eu le droit de publier un torchon pareil en 2020. La liberté d'expression ne permet pas tout, bon sang ! Comment peut-on se montrer aussi transphobe de façon aussi ouverte ? Il n'y a t-il aucune loi qui nous protège de cette haine ? L'article de Mariane est une preuve que nos droits ne sont pas encore bien protéger. Il faudrait peut-être que la transphobie soit punit par la loi au même titre que le racisme pour que les gens applique enfin le respect ? Je suis choqué de la malveillance de cette femme vis à vis de votre fille. Comment peut-on s'en prendre à une enfant si jeune ? La deadname en plus ? on est au summum de l'irrespect. j'espère que cette journaliste aurait une lourde sanction. J'espère également que vous porterez plainte !

    Du reste, merci de faire partit des alliés qui comprennent réellement ce qu'est la transidentité. Bon courage à vous.

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  3. Courage et soutien à vous et honte à cette "journaliste" !

    Le devoir d'un-e journaliste devrait être informer et, surtout sur des sujets aussi méconnus que les transidentités, d'aider le publique à mieux nous comprendre. Au lieu de cela, cette personne à véhiculé les préjugés les plus éculés et les plus grossiers, saupoudré le tout de conspirationnisme, et jeté la suspicion sur des parents qui font de leur mieux pour faire le buzz à bon compte.

    C'est d'autant plus ignoble, qu'elle s'en prend à une communauté réduite (nous sommes moins d'un pourcent de la population), et les lois qui sont censées nous protéger sont récentes, et peu appliquées. Elle ne prend donc aucun risque en s'en prenant à nous, personnes trans. C'est un acte gratuit, lâche, veule !

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  4. Cette journaliste écrit également pour La Vie. Peu de surprise de ma part.

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  5. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  6. Bonjour, j'ai lu l'article sans rien connaître du sujet, ni de près, ni de loi. Je l'ai trouvé clair, pédagogique, et tout à fait bienveillant envers votre famille. Je suis arrivé au bout de cette lecture en étant persuadé que votre enfant a de la chance de vous avoir comme parents, et je n'ai éprouvé aucune gêne, mais au contraire de la sympathie, alors que j'avais sans doute des préjugés avant de le lire.

    Bref, cet article est une réussite totale, puisqu'il touche de façon positive des gens ordinaires, comme moi, qui n'avaient entendu parler que de très loin de cette situation.

    Et comme j'étais intéressé d'en savoir plus, je viens de tomber sur votre blog, et j'avoue que je ne comprends pas votre réaction. Vous ergotez sur des points de vocabulaire qui relèvent de la discussion universitaire et pas d'un article de magazine, et vous accusez de manière totalement injuste la journaliste de transphobie ou de malveillance, alors que c'est évidemment aux antipodes de ce que l'on ressent en lisant son article. Je veux bien que ça n'ait pas été facile pour votre enfant et pour vous, je ne nie pas qu'il y ait des gros cons, mais il ne faudrait pas se tromper d'ennemi !

    Attaquer cette journaliste sous prétexte qu'elle n'écrit pas exactement ce que vous aimeriez lire, et parce qu'elle donne la parole à d'autres que vous, est délirant du point de vue de la vérité, et totalement contre-productif du point de vue de l'acceptation de ce que vit votre enfant. J'espère que vous vous en rendez compte (j'ai corrigé des fautes et supprimé la première version de ce commentaire, désolé).

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