Nouvelle carte d'identité : émotions administratives

Notre consultation à l'Hôpital Robert Debré


Ça y est, c’est le grand jour ! Nous partons en direction de l’hôpital Robert Debré où nous avons RDV avec le Docteur Alicia COHEN. Rose est pressée d’arriver et d’être au RDV, elle va pouvoir dire au Docteur qu’elle veut être une fille.

De mon côté, j’ai l’impression d’aller passer un examen, le bac ou quelque chose de similaire ! J’ai l’estomac noué. J’ai tellement de questions que je pense, nous parents, nous posons certainement tous dans ces circonstances :



-        Raphaël présente-t-il bien une dysphorie de genre ? Doit-il à partir de maintenant être Rose pour nous et pour tout le monde ? La transition sociale doit-elle être immédiate ? (bon, là je suppose que vous vous doutez bien de la conclusion du RDV 😉 !

-        Si Raphaël devient Rose, comment l’accompagner au mieux ? Comment gérer ce changement auprès de son frère de 4 ans pour qui Raphaël est un modèle ?

-        Qu’est-ce qui explique la dysphorie de genre ? Est-ce peut-être causé par l’Œdipe à cet âge ? Est-ce une volonté de me ressembler ? Est-ce parce que j’espérais peut-être une fille lorsqu’il était dans mon ventre ? Cela vient-il de notre éducation ? Est-ce inscrit dans son patrimoine génétique ?

-        A-t-on le droit de donner notre avis en tant que parent sur le prénom qu’il a choisi : Rose ?

L’hôpital Robert Debré est… gigantesque ! Pour accéder à la zone pédiatrique, on passe par une sorte de jungle aménagée avec un totem et un pont suspendu. Rose est aux anges 😉 !!



Le Docteur Alicia COHEN vient nous chercher en salle d’attente, Papa Zazou et moi sommes sous tension mais Rose sautille 😊 même si elle est tout de même intimidée !!

Après s’être présentée et avoir pris le temps de relire notre « courrier de motivation » en vue de ce RDV, le Docteur pose des questions directement à Rose. Puis, elle nous pose également des questions sur Rose. Assez rapidement, le Dr Cohen commence à appeler Raphaël, Rose, et emploie le pronom féminin lorsqu’elle parle d’elle… ça y est, ça devient concret pour nous. Je suis à la fois soulagée (non, je ne suis pas folle, j’avais bien raison, mon ressenti était le bon) et à la fois terriblement angoissée (oh mon Dieu, qu’est-ce qui attend notre fille maintenant ? Et nous qui allons devoir l’accompagner dans cette folle aventure ?). Son diagnostic est clair et sans aucun doute, Rose présente bien une dysphorie de genre.

Elle nous explique alors que nous sommes reçus par elle, une pédopsychiatre, afin d’établir « un diagnostic », mais qu’en aucun cas la dysphorie de genre est une maladie mentale 😊. Mais elle pose des questions bien précises car apparemment, derrière une dysphorie de genre présumée peut également se cacher d’autres problèmes psychologiques que seule une pédopsychiatre pourrait reconnaître.

Elle nous explique alors que les chiffres montrent que un peu plus de 50% des enfants de moins de 12 ans qui démontrent une dysphorie de genre vont finalement revenir au sexe assigné à la naissance lors de la puberté. Néanmoins, de son expérience à Robert Debré, le Dr Cohen nous confie que lorsqu’elle constate une dysphorie de genre chez un enfant aussi jeune que Rose et lorsque l’envie d’être fille est si « ancrée », il est rare que l’enfant fasse chemin arrière.

Elle nous conseille alors une transition sociale immédiate (en revanche, à la rentrée des classes de septembre pour l’école) et jusqu’à la puberté de Rose, environ 12 ans. En effet, afin d’accompagner au mieux notre fille, il est important qu’elle se sente à l’aise dans son corps (et ce qu’elle veut par-dessus tout, c’est être une fille) et aimée par ses parents et son entourage, qu’importe le sexe qu’elle choisisse. Cela signifie que Rose va à partir d’aujourd’hui s’habiller en fille, s’appeler Rose et plus Raphaël et nous utiliserons le pronom féminin pour s’adresser à elle.

Elle nous explique que lorsque la puberté débutera (prise de sang pour déterminer le niveau de testostérone), alors Rose sera suivi par un Endocrinologue (le Dr Martinerie) et par elle-même et, si elle veut toujours rester fille, prendra ce qu’on appelle des bloqueurs de puberté pour ne pas que Rose ait la voix qui mue, les poils qui poussent, la pomme d’Adam qui se forme, etc. Cela lui laisse ainsi le temps d’être certaine de son choix.

Et si à 15 ans Rose est toujours certaine de vouloir être Rose, elle pourra alors entamer une transition physique : prendre des hormones féminines afin de développer un peu plus son côté féminin : voix plus aiguë, corps plus fin, un peu de poitrine. Ces hormones sont à prendre toute sa vie et après 20 ans de recul, il n’ont pour le moment pas constaté de maladies causées par la prise d’hormones sur le long terme.

Ce qui est très rassurant, c’est qu’elle nous informe que tout est réversible = à tout moment, (bloqueurs ou hormones) Rose peut décider de tout stopper. A partir du moment où elle arrête les bloqueurs ou les hormones la nature reprendra automatiquement son cours. Ainsi, si elle décide d’arrêter les bloqueurs de puberté, elle fera alors sa puberté masculine. Si elle décide d’arrêter les hormones féminines, la testostérone reprendra le dessus et son côté masculin reprendra le dessus.

Il existe deux effets connus et négatifs des bloqueurs de puberté : 

  1. Un adolescent grandit en taille 2 fois plus vite qu’un enfant (10cm/an pour un ado vs 5cm/an pour un enfant). Aussi, les bloqueurs vont bloquer la puberté de Rose et ne lui permettront pas de grandir de 10cm/an comme une ado normale, mais que de 5cm/an. Mais dans le cas de Rose, c’est plutôt un point positif, car les filles ne veulent jamais être trop grandes ! Encore une fois, c’est réversible, si elle arrête les bloqueurs, elle rattrapera sa croissance. 
  2. Il se peut aussi que ses os soient moins denses, plus fragiles pendant la prise des bloqueurs. C’est la raison pour laquelle un suivi médical avec un Endocrinologue est nécessaire lors de ce traitement afin d’être sûr que tout se passe bien pour la croissance de l’enfant.

Enfin, après ces étapes de bloqueurs puis hormones féminines, à sa majorité, elle aura le choix ou non de poursuivre par une transition chirurgicale (changement de sexe) et de faire de la chirurgie esthétique (se faire poser des implants mammaire par exemple) si elle le souhaite. Ceci est propre à chaque personne transgenre (personnel et intime).



Rose n’a que 6 ans, nous avons donc largement le temps de penser à tout ça. De plus, tout cela a le temps d’évoluer avec le temps. Peut-être que dans 10 ans les hormones pourront être administrées plus tôt qu’à partir de 15 ans, etc. Les lois/réglementations évoluent en permanence sur ces questions de genre.

Le Docteur Cohen nous précise qu’à ce jour, les spécialistes n’ont aucune explication concernant la dysphorie de genre. Seulement une hypothèse, une question d’hormones lors de la croissance du fœtus, mais qui est très loin d’être prouvée. En tant que maman, je me sens soulagée car (j’avoue 😊!) je me demandais sincèrement si, lorsque Rose était dans mon ventre, j’avais peut-être trop espéré avoir une fille ou je culpabilisais en me disant qu’elle s’identifiait peut-être trop à moi depuis sa naissance (étant la seule fille à la maison), etc. Mais finalement, rien de tout cela n’est vrai et même les médecins spécialisés qui ont vu beaucoup d’enfants présentant une dysphorie de genre ne savent pas encore l’expliquer. Mais la dysphorie de genre n’est en aucun cas génétique et elle n’a jamais été amenée à constater plusieurs cas de dysphorie de genre au sein d’une même fratrie.

Le Docteur Cohen a pris 1h30 de son temps pour nous expliquer toutes ces étapes en détail, répondre à toutes nos interrogations et parler à Rose avec une grande bienveillance. Papa Zazou et moi avons le sentiment d’avoir maintenant toutes les réponses à nos questions, comme s’il manquait jusque-là quelques pièces au puzzle et que nous avions maintenant le tableau complété. Nous sommes soulagés car tout cela semble bien rodé, bien encadré, nous ne nous sentons plus seuls et nous savons que tout est réversible. A tout moment, si Rose préfère finalement retourner à son identité assignée à la naissance, elle pourra le faire.

Nous avons été très touchés lors de cette entrevue avec le Docteur Cohen car elle nous a dit que Rose « a de la chance de vous avoir tous les deux ». Elle a trouvé que Papa Zazou et moi étions « très à l’écoute de notre enfant pour avoir su l’écouter (et comprendre son mal-être très rapidement) et l’accompagner malgré son jeune âge ». Nous nous sommes sentis très valorisés et très fiers de nous, hi hi hi 😊 !! Selon elle, Rose est « entre de bonnes mains » et n’a pas besoin de suivi pédopsychiatrique particulier jusqu’à ce que sa puberté commence, le Docteur n’est pas inquiète pour son avenir car, selon elle, ce qui pose de réels problèmes à l’adolescence pour ces enfants, c’est lorsqu’ils ont le sentiment de rejet de la part de leurs parents et entourage. « Rose a un socle familial solide, nous sommes là pour elle et cela l’aidera énormément ».


Je suis désolée pour ce pavé 😉, mais je tenais sincèrement à détailler ici les explications glanées lors de ce RDV. Tout d’abord, parce que ces informations ont été pour nous très précieuses et qu’elles peuvent servir à d’autres parents qui accompagnent actuellement des enfants présentant une dysphorie de genre. Et ensuite parce que j’aimerais attirer l’attention de l’ensemble des personnes sur la dysphorie de genre, que les gens comprennent de quoi il s’agit et ce que vivent ces enfants, afin que nous soyons tous bienveillants et empathiques envers eux 🙏.

Avec tout mon amour de maman, pour Rose ❤.


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